Le neveu de Rameau, personnage énigmatique s'il en est, affronte dans l'?uvre de Diderot un philosophe parisien. Il est bien souvent difficile de discerner les opinions de l'auteur à travers les mots échangés entre les deux personnages, et il semble bien possible qu'ils soient tous deux largement nourris de la pensée dialogique et antidogmatique de Diderot. Alors que le neveu explique sa position tout à fait versatile et sa capacité à adapter son langage à toutes les situations, il avoue au philosophe avoir commis une faute qui lui a coûté son exclusion du cercle du financier Bertin, son bienfaiteur. Accablé par cette catastrophe qui le réduit à la pauvreté la plus complète, le neveu évoque avec regret le temps des soirées conviviales où se réunissaient chez le financier toute une population d'artistes déchus et avides de vengeance. Ce récit du neveu est tout à fait particulier, puisqu'il a une visée descriptive et explicative : description du monde du neveu, de ses agissements avilissants qui peuvent à tout moment faire basculer l'homme dans l'animalité.
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Sommaire de l'exposé
Un récit de la bourgeoisie décadente, qui, évincée du succès artistique par le goût esthétique de l'époque, s'acharne à décrier les plus grands phares des Lumières, et ce au profit d'une morale hypocrite qui ne la trompe déjà plus elle-même
Le neveu n'est qu'un nom parmi tous ceux qui se sont livrés à une lutte acharnée contre la philosophie
Diderot nous dévoile ainsi ce système qui a pu entraver les philosophes et renforcer l'obscurantisme ambiant
Extraits de l'exposé
[...] Car il ne faut pas oublier que tous ces artistes déchus, comme Rameau, sont sans le sou et vivent au dépends de ce maître qui les entretient pour se distraire de leur présence. Car le parasitisme est bien le gagne pain de cette compagnie, et tout particulièrement du neveu, qui sans cette activité, se retrouverait sur la paille et ce au sens propre. Ainsi le parasitisme s'enseigne et s'apprend, ce n'est pas un vice naturel à l'homme et il faut faire un réel travail sur soi pour y parvenir. [...]
[...] Ce passage du Neveu de Rameau incarne la satire de Diderot en plaçant sous nos yeux le récit de la bourgeoisie décadente, qui, évincée du succès artistique par le goût esthétique de l'époque, s'acharne à décrier les plus grands phares des Lumières, et ce au profit d'une morale hypocrite qui ne la trompe déjà plus elle-même. Le neveu, chef de l'armée des fous, n'est qu'un nom parmi tous ceux qui se sont livrés à une lutte acharnée contre la philosophie. Diderot nous dévoile ainsi ce système qui a pu entraver les philosophes et renforcer l'obscurantisme ambiant. [...]
[...] Or, il faut aussi rapprocher ce passage du thème de l'homme bête affectionné par Diderot. En effet, celui-ci place le neveu de Rameau sous l'égide de cette citation de la satire première : «Méfiez-vous de l'homme singe, il a toutes sortes de cris. De même, Diderot évoque «l'homme loup, l'homme tigre et affirme que «cette prérogative qui nous est propre, et qu'on appelle raison, [ ] correspond seule à toute la diversité de l'instinct des animaux. Ainsi, ces hommes qui ont abandonné leur raison à causes de leurs passions démesurées, ne sont plus vraiment humain et peuvent être relégués au rang des animaux, et qui plus est des animaux sauvages et particulièrement cruels. [...]
[...] Or, cette coalition contre les philosophes des lumières nous donne ici l'impression d'un vaste retournement de situation burlesque. En effet, ce sont ceux qui ont échoué qui jugent ceux qui ont réussit, et on assiste à une sorte de jeu du cirque où les opposants au pouvoir financier en place sont sacrifiés aux bêtes féroces pour affirmer la supériorité de la morale économique bourgeoise. Ce ne sont plus les moralistes qui critiquent la société, mais c'est la société qui critique ses penseurs et chercheurs. Il y a une inversion entre le fou et le sage. [...]
[...] Le tribunal des fous juge selon ses propres lois ceux contre qui s'excite leur jalousie : des animaux enragés aboient à tort et à travers contre ceux qui incarnent la réussite. Nous sommes dans un monde où tout est inversé, où le neveu, qui est un incapable principalement en ce qui concerne la musique et les arts, devient un professeur et un maître aboyeur dont il faut suivre l'exemple. Comment ne pas être choqué de cette morale on ne peut plus cynique ? [...]