Cet ouvrage, écrit peu après la fin de la Première Guerre mondiale, a été rédigé à partir des carnets de guerre, qu'a tenus Ernst Jünger, engagé volontaire en décembre 1914 à l'âge de 19 ans.
De nombreux anciens combattants ont, comme Ernst Jünger, raconté leurs souvenirs de guerre, et parmi eux des écrivains reconnus, comme les Français Henri Barbusse et Roland Dorgelès, ou l'Allemand Erich Maria Remarque. C'est en grande partie sur ces témoignages insérés dans des récits et des romans que les historiens ont fondé leurs travaux sur la vie quotidienne des soldats dans les tranchées de la guerre de 14. Ces travaux ont révélé que la guerre a été un massacre sans précédent au cours duquel les soldats ont subi un traumatisme quotidien et à certains moments une véritable déshumanisation.
Le statut du texte de Ernst Jünger soulève alors plusieurs problématiques liées à l'articulation entre fiction et réalité, entre le vraisemblable et le réel. Tout d'abord, il s'agit de distinguer, parmi les souvenirs et les analyses de Jünger sur la guerre, ce qui relève d'un témoignage à portée générale, portant sur des phénomènes ayant pu être vécu par n'importe quel combattant de la guerre, et ce qui relève de la perception propre de cette guerre par l'auteur comme une sorte de voyage initiatique, de roman d'apprentissage qui lui permet de découvrir sa réalité spirituelle.
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Sommaire de la fiche de lecture
Distinction de ce qui relève d'un témoignage parmi les souvenirs et les analyses de Jünger sur la guerre
Le problème de la réécriture
Problèmes dans le rapport entre le vraisemblable et le réel
Extraits de la fiche de lecture
[...] De ce phénomène résulte un décalage entre la réalité de la bataille et la réalité perçue par le personnage. Le témoignage de Jünger a aussi une dimension d'?uvre d'histoire dans la mesure où il exprime la sensation d'irréalité due à l'invisibilité de l'ennemi, commune à un grand nombre de combattants : Comme tout cela était mystérieux, impersonnel ! A peine songeait-on à l'ennemi, cet être énigmatique, malfaisant, quelque part derrière l'horizon. L'ennemi, invisible, apparaît par conséquent comme irréel à la jeune recrue. [...]
[...] L'essentiel des combats auxquels va participer Ernst Jünger se déroulent hors de vue de l'ennemi ; il faut attendre les grandes offensives de Hindenburg en 1918 pour que Jünger connaisse enfin un combat rapproché avec l'adversaire. L'interaction entre réalité et irréalité est omniprésente dans cette guerre, notamment du fait de la déformation des sensations. Ainsi, la première expérience de Jünger au front est à l'image de ce que sera toute son expérience de guerre : je m'en aperçus aux nombreuses illusions auditives, en vertu desquelles le roulement de chaque voiture qui passait devenait le ronflement de mauvais augure de l'obus meurtrier. [...]
[...] Cette image vole littéralement en éclat quand le premier obus s'abat sur le village où son régiment est cantonné, et quand Jünger voit les premiers morts sans même avoir vu l'ennemi. Selon lui après cette explosion d'obus, la mort avait montré ses griffes et jeté son masque de bonhomie. L'explosion d'obus est une irruption brutale et soudaine du réelle dans le monde imaginaire que les recrues s'étaient construit dans leur représentation de la guerre. Tout d'abord, Jünger dit avoir été étouffé par une sensation d'irréalité qui est provoquée par le décalage entre sa représentation et la réalité. Le réel lui semble irréel car invraisemblable. [...]
[...] La guerre représente à la fois la quête d'une vie exaltante où l'individu dépasse son individualité pour se fondre par une ivresse dans un grand corps brûlant d'enthousiasme dans une communion et à la fois une manière d'affirmer une individualité héroïque, par l'apprentissage de la grandeur, de la force, de la gravité, de l'action virile, dans des joutes de tirailleurs quasi chevaleresques. Cette conception de la guerre est en quelque sorte une synthèse de tous les poncifs du romantisme et de toutes les images d'Epinal sur la guerre. Il s'agit de savoir si cette représentation que nous transmet Jünger par son témoignage possède une valeur historique, et si elle est représentative de la moyenne des combattants. [...]
[...] Enfin, l'objet même de la Première Guerre mondiale pose un certain nombre de problèmes dans le rapport entre le vraisemblable et le réel : en effet, la violence inouïe de ce conflit peut sembler inconcevable de nos jours, surtout pour les jeunes générations qui n'ont pas connu de guerre, et certaines impressions et certains phénomènes vécus et ressentis bien réellement par les combattants semblent invraisemblable. Enfin, ce texte soulève la problématique du statut du témoignage : en effet, de nombreux anciens combattants ont longtemps refusé de témoigner sur leur expérience de guerre, par une sorte de refoulement du traumatisme qu'ils on vécu. D'autres, comme Ernst Jünger ou le peintre Otto Dix, ont choisi l'art comme mode de témoignage de leur vécu. [...]