Bertrand Badie. L'Etat importé. L'occidentalisation de l'ordre politique

Extraits de la fiche de lecture

[...] Cela permet à l'auteur de faire une approche comparative des différentes formes d'assimilation du modèle occidental, mais il reste conscient des limites de cet idéal-type qui est lui-même contredit par de nombreuses réalités historiques et sociales propres à l'Occident (comme par exemple les conflits entre régionalismes et Etat-nation en Europe). À l'appui de nombreux exemples qui illustrent son analyse des rapports Nord/sud, Badie conclut que les tentatives d'assimilation du modèle occidental par les pays en voie de développement aboutissent inexorablement à un échec. Sur cette conclusion, le pessimisme de Bertrand Badie ne fait pas l'unanimité, en effet, ne peut-on parler uniquement qu'en termes d'importation ou d'exportation pour qualifier le processus d'occidentalisation du monde ? N'y a-t-il réellement aucun phénomène d'appropriation de ces produits importés par les acteurs concernés ? [...]

[...] L'apport fondamental de l'ouvrage de Bertrand Badie est de démontrer de façon rigoureuse que les systèmes en place dans les sociétés du sud, même si ils acquièrent une certaine autonomie, ne sont pas dirigés par une main invisible, ils sont avant tout fonction des stratégies des acteurs. Cette théorie est fondamentale pour expliquer l'immuabilité du modèle politique occidental comme référent quasi-unique de l'organisation de la vie politique des sociétés du Sud et de la structuration de l'ordre international, et ce malgré les situations d'anomie qui en découlent. [...]

[...] Toutefois ce patrimonialisme basé sur les acteurs extérieurs n'a fait qu'aggraver la dépendance des élites politiques en les faisant entrer encore plus dans une logique clientéliste des rapports Nord/Sud. Badie, se basant sur la définition que donne Médard des relations clientélistes (c'est-à-dire des liens qui sont définies comme personnels, créateurs de dépendance, reposant sur un échange réciproque de faveurs entre deux personnes, le patron et le client, qui contrôlent des ressources inégales établis alors les concepts d'Etat client et d'Etat patron liés tous les deux dans une relation exogène qui contribue à faire accroître la dépendance des Etats du Sud. [...]

[...] Une telle conception ethno-centrée de l'Etat comme organisation politique universelle a été renforcée par la science politique occidentale (que ce soit Almond et Verba qui classent les sociétés sur une échelle unique de civisme"[13] ou les théoriciens développementalistes qui décrivent le processus de réalisation de l'universel au sein des sociétés occidentales Pourtant, L'Etat-nation tel qu'on le retrouve aujourd'hui dans l'ordre international est le fruit d'une Histoire singulière qui a débuté au XIIe siècle en Occident[14]. Ce modèle s'est diffusé par la suite dans le reste du monde par à-coups successifs (les Amériques, les Empires périphériques de l'Europe, puis les vagues de décolonisation en Afrique et en Asie). [...]

[...] Par ailleurs, en parallèle à ces revendications identitaires, l'Etat importé génère ce que Badie appelle des espaces sociaux vides c'est-à-dire des secteurs entiers de la société non-contrôlés et laissés alors à la domination des allégeances traditionnelles. Or, ce sont souvent dans ces espaces sociaux vides que se structurent les acteurs transnationaux, et plus particulièrement les acteurs contestataires, et qui viennent concurrencer l'acteur étatique sur la scène internationale (comme les communautés islamistes en Algérie ou en Egypte) jusqu'à devenir, parfois, les interlocuteurs des pays occidentaux. [...]