La décision est souvent le moment le plus valorisé de l'action publique, car elle est vue comme l'apogée du travail politique.Traditionnellement, la décision politique est vue comme tranchée, ce qui lui donne un caractère irrémédiable, rapide et rationnel. Cette vision traditionnelle de la décision a depuis été critiquée, notamment par Allison ou encore par Simon dans Administrative Behavior, où l'auteur va opérer une déconstruction de la « décision héroïque ». Décider sans trancher c'est cela : la décision n'est souvent pas héroïque, mais déconstruite et émiettée. C'est l'objet de cet exposé, comprendre pourquoi et comment on décide sans trancher.
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Sommaire de l'exposé
Des petites décisions dans un monde incertain
Les cadres de l'incertitude
L'expérimentation : tester, rechercher pour « mieux » décider ?
L'émiettement de la décision
La décision comme un processus par étapes
Le caractère collectif de la décision
Extraits de l'exposé
[...] Ce cadre d'incertitude favorise donc largement une décision non tranchée. Le dernier niveau d'incertitude est celui qu'on peut appeler l'incertitude radicale positive. Ici aussi, comme pour l'incertitude radicale, on ne connait pas les mondes possibles. Pour autant, cela est vu comme positif : c'est que l'on peut observer dans le texte de Barthe quand les lobbies anti-nucléaires mettent en avant l'incapacité à trancher car on est en face d'une incertitude totale quant aux progrès scientifiques à venir : est donc favorisé une décision itérative, c'est-à-dire à renouveler régulièrement, qu'une décision tranchée, c'est-à-dire une décision prise de façon irrémédiable. [...]
[...] Expérimenter peut être un moyen de décider sans trancher dans un cadre d'incertitude car cela permet d'ouvrir et de connaître plus de mondes possibles, mais aussi de rassurer la population. * * * Nous avons donc vu à un niveau macro que les facteurs extérieurs, surtout le contexte incertain du monde, poussaient l'action publique à s'adapter, tout comme le mode de décision qui ne peut plus vraiment être une décision tranchée. Il s'agit maintenant de se concentrer sur le niveau micro, ou ouvrant la boîte noire de la décision et ainsi comprendre que son essence même est beaucoup plus complexe qu'une simple décision tranchée. [...]
[...] Cette vision de la décision peut être reliée à la conception wéberienne de la décision rationnelle instrumentale qui est décrite par l'idéal type suivant : une décision prise par une personne clairement identifiée, qui a un comportement cohérent, qui connaît toutes les options de décisions sur le sujet en question et qui va opérer le choix optimal. Cette vision traditionnelle de la décision a depuis été critiquée, notamment par Allison[1] ou encore par Simon[2] dans Administrative Behavior, où l'auteur va opérer une déconstruction de la décision héroïque Décider sans trancher c'est cela : la décision n'est souvent pas héroïque mais déconstruite et émiettée. C'est l'objet de cet exposé, comprendre pourquoi et comment on décide sans trancher. Nous allons donc nous demander pourquoi décider n'est pas trancher et qu'est-ce que la décision dans ce cas. [...]
[...] La décision va être ici le produit de marchandages entre différents groupes. Un exemple récent qui peut illustrer cela est celui des producteurs de lait à l'automne 2010 : ces derniers demandent une augmentation du prix du lait. L'Etat ne peut pas décider, pour calmer le jeu, d'un prix et l'imposer à tous les acteurs de la filière laitière. Il va donc organiser des négociations tripartites entre les producteurs de lait, les industriels qui achètent aux producteurs et lui-même, pour arriver à la décision d'un prix du lait, cette décision étant donc le produit des négociations tripartites. [...]
[...] Tous ces textes ont le point commun de concevoir la décision comme non tranchée mais fractionnée et beaucoup plus complexe, ce que nous allons voir plus loin. Pour ce faire, nous étudierons d'abord comment le cadre incertain du monde rend très difficile la prise de décision de façon tranchée et pousse à y adapter le mode de décision. Nous adopterons donc un point de vue macro pour comprendre comment le contexte agit sur le mode de décision. Nous verrons dans un second temps comment et pourquoi on peut dire que la décision est émiettée. [...]