On peut partir du constat d'un effet performatif de la critique adressée à la représentation : il y a crise de la représentation dès lors que cette crise est évoquée. Evoquer une crise de la représentation politique, c'est en effet porter une critique contre la représentation existante même. Sur la base de ce constat, on fait l'hypothèse que la crise de la représentation ainsi comprise comme écart entre représentants et représentés est structurelle. Dès lors, il faut rechercher les structures de la représentation politique, telles qu'elles ont été mises en oeuvre, pour comprendre cette crise. Le gouvernement représentatif a en effet été pensé, à ses origines, comme l'expression d'un peuple qui pourtant ne lui préexiste pas. La philosophie politique moderne a une conception de la communauté politique selon laquelle l'unité n'est pas une réalité empirique où les individus sont ordonnés à une fin commune, mais où elle est l'objet d'une représentation qui leur est extérieure. La fondation du gouvernement représentatif est liée à cette conception constructiviste de la communauté. Une crise de la représentation tiendrait donc à la référence, par les critiques de la représentation existante, à un peuple empirique opposé à la figuration qui en est donnée par les représentants, peuple empirique qui voudrait voir la représentation politique refléter ce qu'il est, et non se substituer à lui. C'est donc à une donnée fondamentale de la politique moderne qu'il faut revenir : l'abstraction de la communauté à l'égard de ses membres remonte à la perte des fins communes prédéterminées que le pouvoir ancien ne faisait qu'accomplir. L'origine de la crise de la représentation tiendrait, à partir de cette perte, à l'aliénation des volontés singulières par un pouvoir qui n'exprime plus aucune identité commune antécédente.
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Sommaire de l'exposé
La violence initiale de la représentation
La volonté dans la représentation, et inversement
Volonté générale comme seule vérité
La volonté du peuple exprimée par la « démocratie insurgeante »
Le retour au « tumulte » machiavélien comme vraie démocratie
Extraits de l'exposé
[...] Il ne s'agit pas de penser que la démocratie va détruire l'Etat. Elle ne peut, et ne doit, que lutter contre lui : ici se pose en fait la question des conditions de l'émancipation[21]. L'insurgeance est donc un état, pas une étape. Le retour au tumulte machiavélien comme vraie démocratie En termes venus de La Boétie[22], la démocratie insurgeante signifie la communauté des tous uns- ce que La Boétie nomme l'amitié - contre le tous Un ; et plus précisément la résistance des tous uns au virage en tous Un. [...]
[...] Voila donc le bon peuple qui s'engage et n'engage que lui en signant [ ] Or ce peuple n'existe pas. Il n'existe pas avant cette déclaration, pas comme tel. S'il se donne naissance, en tant que sujet libre et indépendant, en tant que signataire possible, cela ne peut tenir qu'à l'acte de cette signature. La signature invente le signataire Voilà pourquoi Nietzsche dit que l'Etat est un chien hypocrite ; avec fumée et beuglements il aime discourir pour faire croire que sort sa voix du ventre des choses. [...]
[...] (Dieu) fonde les lois naturelles et donc tout le jeu qui tend à présenter des énoncés performatifs comme des énoncés constatifs Or pour Machiavel le prince, s'il veut que son pouvoir perdure, doit de fait après l'avoir fondé par la force l'asseoir par la loi, mais par une loi non absolue, au contraire qui puisse se plier aux nécessités des forces en présence dans la société, pour associer les conflictualités et les équilibrer par la juridiction. Ainsi on peut analyser la source du pouvoir avec Foucault[3] qui analyse les termes que Nietzsche utilise dans son ?uvre pour exprimer l'idée d'origine. D'abord Ursprung avec le préfixe Ur- qui renvoie à l'idée d'essence. [...]
[...] Dès lors la représentation se devrait de lutter contre elle- même ? Oui, mais seulement si l'on considère que les représentants constituent de fait un corps politique différent du peuple. C'est peut- être en fait cela la dénaturation de la démocratie par l'Etat : l'institutionnalisation d'une classe d'hommes plus égaux que les autres d'une classe de magistrats Ainsi R. Schürmann écrit, à propos de ces moments éphémères dans l'histoire qui appartiennent à la tradition communaliste : Alors est suspendu pour un temps le princeps, le gouvernement, et le principium, le système qu'il impose et sur lequel il repose. [...]
[...] Rousseau a répondu à certaines de ces difficultés. Par exemple lorsqu'il pose que la démocratie, sous sa forme directe, n'est possible que dans le cadre de petites cités, et que donc l'extension spatiale, contraignant à la représentation, lui est fatal. On retrouvera cela dans l'anarchisme proudhonien qui limite au cadre des villes l'exercice démocratique. On pourrait alors en conclure que la démocratie rousseauiste ne saurait fonctionner que dans le cadre de l'anarchisme, en contradiction avec le but du Contrat social qui se veut fondateur d'une doctrine de l'Etat, mais néanmoins en accord avec son esprit Tant en ce qui concerne la critique de l'Etat que relativement à l'affirmation des singularités au sein même du contrat, on y trouve en effet les constantes de l'anarchisme, tel qu'il s'est exprimé au XIXe siècle sous des formes diverses, qu'il s'agisse de Proudhon ou de Nietzsche. [...]