La mort tient une place centrale dans la pensée humaine. Et pourtant nul homme ne sait ce qu'elle est, puisque, ainsi que l'observait Kant, « personne n'en peut faire l'expérience en elle-même (car faire l'expérience relève de la vie), mais on ne peut que la percevoir chez les autres » (Anthropologie). Toutefois, si la connaissance de la mort est impossible, si même, comme le dit Alain, « la mort ne s'imagine point », l'homme reste obsédé par elle et s'efforce de l'expliquer : ainsi pourra-t-il l'envisager soit comme une autre vie, soit comme un anéantissement. Mais ces représentations de la mort seront-elles sans incidence sur sa conception de la vie ? A ses yeux, la mort ajoute-t-elle à la valeur de la vie, ou, au contraire, l'amoindrit-elle ?
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Sommaire de l'exposé
Pour l'homme la conscience de la mort, quelles que soient les représentations qu'il s'en fasse, entraîne une dévalorisation de la vie
C'est dans le sentiment de notre finitude et la capacité que nous avons de faire face à notre propre mort que nous puisons la force et l'énergie de vivre pleinement et authentiquement la vie qu'il nous est donné de vivre
C'est moins la mort elle-même qui est déterminante, ni l'idée qu'on s'en fait, mais l'attitude que l?homme adopte devant elle
Extraits de l'exposé
[...] La mort ajoute-t-elle à la valeur de la vie ? La mort tient une place centrale dans la pensée humaine. Et pourtant nul homme ne sait ce qu'elle est, puisque, ainsi que l'observait Kant, personne n'en peut faire l'expérience en elle-même (car faire l'expérience relève de la vie), mais on ne peut que la percevoir chez les autres (Anthropologie). Toutefois, si la connaissance de la mort est impossible, si même, comme le dit Alain, la mort de s'imagine point l'homme reste obsédé par elle et s'efforce de l'expliquer : ainsi pourra-t- il l'envisager soit comme une autre vie, soit comme un anéantissement. [...]
[...] C'est moins la mort qui ajoute ou retire de la valeur à la vie que notre attitude devant la mort, quelle que soit la manière dont nous la concevons et y faisons face. Le rapport authentique à la mort, envisagée comme possibilité propre, ne saurait dévaloriser la vie, il est même condition de toute conduite éthique. Indications de lecture Platon, Phédon Epicure, Lettre à Ménécée M. Heidegger, Etre et Temps P.-L. Landsberg, Essai sur l'expérience de la mort Miguel de Unamuno, Le Sentiment tragique de la vie V. Jankélévitch, La Mort M. Conche, La Mort et la pensée E. [...]
[...] Et nul arc ne saurait être tendu ni communiquer à la flèche la vitesse comme la pensée de la mort stimule le vivant dont le sérieux tend l'énergie. Alors le sérieux s'empare de l'actuel aujourd'hui même ; il ne dédaigne aucune tâche comme insignifiante ; il n'écarte aucun moment comme trop court. Ainsi, la mort fait essentiellement partie de la vie humaine, tout homme, dès qu'il vient à la vie, est assez vieux pour mourir. Heidegger fait de la mort la dimension existentielle, en quelque sorte constitutive, de la réalité humaine ou dasein. Elle en est même la possibilité ultime. [...]
[...] De la déréalisation de la mort procède ainsi la valorisation de la vie, la mort n'est rien pour la vie, son terme ne lui ôte pour ainsi dire rien. On voit donc que la mort, de quelque manière qu'on la conçoive, peut aussi bien ajouter que retirer de la valeur à la vie : c'est en effet moins la mort elle-même qui est déterminante, ni l'idée qu'on s'en fait, mais l'attitude que l'homme adopte devant elle ; c'est, comme le remarque Kierkegaard, le sérieux avec lequel nous considérons la mort qui nous permet de saisir toute la valeur de la vie : Le sérieux comprend que si la mort est une nuit, la vie est le jour, que si l'on ne peut travailler la nuit, on peut agir le jour, et comme le mot bref de la mort, l'appel concis, mais stimulant de la vie, c'est : aujourd'hui même. [...]
[...] En fait, la conscience de la mort-néant nous permet de goûter dans toute leur plénitude les plaisirs de la vie, ainsi que l'explique Epicure : Familiarise-toi avec la pensée que la mort n'a aucun rapport avec nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation. Or la mort est privation de sensation. D'où connaître justement que la mort n'a aucun rapport avec nous fait que nous trouvons goût au mortel de l'existence, puisqu'elle n'ajoute pas un temps impraticable, mais supprime le désir de l'immortalité. [...]