Dans un article consacré à l'?uvre de Corneille et intitulé "De la comédie à la tragédie : le change et la conversion", un critique écrit : "Il convient d'envisager le changement comme un trait constitutif de la psychologie et de la morale cornéliennes. La conception de la nature humaine qui s'y rattache s'oppose à celle de «caractères» donnés une fois pour toutes aux individus (?). Corneille appartient ainsi à son temps car il se montre marqué par la psychologie, la morale et la spiritualité de la Contre-Réforme". Vous expliquerez cette approche du théâtre de Corneille et discuterez de sa pertinence à propos du Cid et de L'illusion comique
...
Sommaire de l'exposé
Un théâtre du changement
Une conception du théâtre comme vision du monde
Un constat de l'instabilité dépassé par la possibilité d'un changement positif
Extraits de l'exposé
[...] De même, Matamore est incapable de changer. Il n'évolue que du point de vue du spectateur, qui découvre sa vraie nature petit à petit. Mais en réalité son "caractère" lui a été "donné une fois pour toutes" par l'auteur sur le modèle stéréotypé du soldat fanfaron, et son inaptitude à changer en fait un personnage sans consistance, qui ne sert qu'à divertir et dont on ne sait même pas ce qu'il devient après la scène 4 de l'acte IV. Au contraire, les personnages aptes au changement peuvent parvenir à une évolution positive. [...]
[...] Mais il suffit alors d'un simple événement déclencheur (le Roi choisit Don Diègue comme précepteur pour son fils plutôt que le Comte) pour que se mette en marche une série de péripéties tragiques imprévisibles. De même, dans L'illusion comique, la pièce (des actes II, III et IV) commence comme une comédie sentimentale pour passer brutalement à une tonalité qui rapproche la pièce de la tragédie : le spectateur s'attend à ce que Clindor se fasse bastonner par Adraste, comme un valet de comédie peut l'être par son rival, et c'est finalement un meurtre qui se produit à la fin de l'acte III, mettant Clindor en péril de mort et entraînant la fuite précipitée de Clindor et Isabelle, le dénouement de l'intrigue étant en fin de compte heureux. [...]
[...] / N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? / Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers / Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers (v. 247-250). De même, dans les deux pièces, il suffit d'un événement déclencheur pour passer d'une situation heureuse au malheur, de la comédie à la tragédie. C'est ainsi que, lors de la première scène du Cid, la situation semble simple et heureuse : l'amour de Rodrigue et Chimène paraît assuré, puisque le Comte a annoncé à Elvire son intention d'accepter Rodrigue comme époux pour sa fille. [...]
[...] Dans Le Cid et L'illusion comique, Corneille nous montre un théâtre du changement, perceptible notamment dans l'attitude changeante des personnages. Ainsi, le motif de l'inconstance amoureuse est très présent dans L'illusion comique. Nous assistons, à la scène 5 de l'acte III, à un discours de Clindor sur l'inconstance : celui-ci dit aimer à la fois Isabelle et Lyse ("Vous partagez vous deux mes inclinations", v. 783) et oppose l'amour lié à l'ambition, à son désir d'ascension sociale et l'amour lié au plaisir, qui le pousse vers Lyse ("L'amour et l'hyménée ont diverse méthode : / L'un court au plus aimable, et l'autre au plus commode", v. [...]
[...] Ce manque d'unité des "caractères" se traduit aussi par des changements de tonalités, de registres théâtraux. C'est ainsi que, par exemple, dans L'illusion comique, le personnage de Clindor nous est présenté d'abord semblable à un héros de roman picaresque (dans le récit de ses aventures que fait Alcandre à la scène 3 de l'acte puis dans le rôle d'un valet de comédie (lorsqu'il se met au service de Matamore), avant de passer au registre tragique, lors de son monologue alors qu'il se trouve en prison et attend la mort (acte IV, scène 7). [...]