Pourquoi la démocratie est-elle toujours en péril ?
Résumé de l'exposé
La formule de Rousseau selon laquelle « il n'a jamais été de démocratie et il n'en existera jamais » éclaire la difficulté d'inscrire l'idéal démocratique dans la réalité.
Conçue comme l'exercice du pouvoir politique par le peuple, la démocratie est en principe la forme de gouvernement la plus respectueuse de l'individu et des libertés. Elle est aujourd'hui reconnue comme le meilleur des régimes, et rares sont ceux qui ne se proclament pas comme tels. Pourquoi la démocratie parait-elle donc si fragile au regard de l'Histoire, et les citoyens si prompts à y renoncer ?
La menace permanente de la tyrannie pesant sur la démocratie antique a conduit à imaginer les correctifs modernes que sont la représentation et la séparation des pouvoirs. Mieux armée que la démocratie antique mais plus éloignée de son idéal, la démocratie moderne n'est pourtant pas à l'abri de dangers persistants, tels le « despotisme démocratique » et le totalitarisme.
...
Sommaire de l'exposé
La menace permanente de la tyrannie dans la démocratie antique a conduit à imaginer les deux correctifs modernes que sont la représentation et la séparation des pouvoirs
La démocratie directe incarnée par la cité antique présentait des risques de dévoiement vers la tyrannie, voire l'anarchie
L'époque moderne a « ressuscité » la démocratie sous une forme amendée, censée la protéger des dérives de la cité antique
Mieux armée que la démocratie antique mais plus éloignée de son idéal, la démocratie moderne n'est pourtant pas à l'abri de nouveaux dangers, tels le « despotisme démocratique » et le totalitarisme
Tocqueville a pressenti les dangers de la « passion de l'égalité » et du repli des citoyens sur leur sphère privée
La fragilité persistante de la démocratie tient à sa vocation à donner la parole à tous : elle est à la fois sa condition et le moyen de sa destruction
Extraits de l'exposé
[...] L'effritement actuel de l'idéal de l'intérêt général laisse en tous cas apparaître toute la fragilité de la démocratie, dans une société nécessairement hétérogène et conflictuelle. Conçue comme un lieu de négociation du conflit et d'élaboration de compromis, la démocratie est en effet une chimère, un idéal toujours à construire et toujours menacé. En conclusion, il convient de reconnaître avec Hayek que s'il faut protéger la démocratie, c'est d'abord et avant tout contre elle-même Si la démocratie est toujours en péril, c'est en effet qu'elle est elle-même porteuse de son propre danger, de sa propre disparition. [...]
[...] Pour Tocqueville, la démocratie ramène chaque homme sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre c?ur L'individu se désintéresse ainsi de la chose publique. Remettant son destin aux mains de l'Etat, il a tout loisir pour se préoccuper de ses affaires privées. Au-dessus des citoyens s'élève ainsi ce que Tocqueville décrit comme un pouvoir immense et tutélaire, absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux Or cette sorte de servitude réglée, douce et paisible n'a plus rien de la démocratie. [...]
[...] Refusant cette solution, les héritiers de Rousseau ont préféré garantir la cohésion de la communauté politique, en donnant le primat à l'intérêt général. Enfin, d'un côté comme de l'autre de l'Atlantique, la proclamation des droits individuels est venue également conjurer le risque de tyrannie de la majorité sur la minorité. On peut y voir une manière de renouer avec le gouvernement constitutionnel loué par Aristote. II Mieux armée que la démocratie antique mais plus éloignée de son idéal, la démocratie moderne n'est pourtant pas à l'abri de nouveaux dangers, tels le despotisme démocratique et le totalitarisme Des épisodes comme celui de la Terreur en France ont montré que la démocratie moderne n'était pas à l'abri de dérives Tocqueville a pressenti les dangers de la passion de l'égalité et du repli des citoyens sur leur sphère privée Dans son ouvrage majeur De la démocratie en Amérique Tocqueville montre la supériorité du modèle américain, qui tient au nombre de contre- pouvoirs qui s'affrontent. [...]
[...] L'Américain Hamilton montre-lui aussi la nécessité d'évoluer de la démocratie directe à un combiné inédit de démocratie et d'aristocratie Cette nouvelle démocratie représentative est une république qui réalise l'idéal d'un empire des lois et non des hommes (John Adams). Ainsi, le mythe de la démocratie directe disparaît à l'époque moderne au profit du principe de réalité : seule la démocratie représentative est viable et souhaitable. La première atteinte à la démocratie vient donc de la tentative de la prémunir contre ses excès. [...]
[...] Or, même réduite, la place laissée aux adversaires de la démocratie est toujours une menace. Ce risque est d'autant plus fort que certains régimes ont conservé, dans un souci de légitimation, des éléments de démocratie directe, comme le référendum. Or on en connaît les dérives, lorsqu'il est aux mains des ennemis de la démocratie : il suffit d'évoquer ceux des Premier et second empires, dont l'un a entériné le coup d'Etat du 2 décembre 1804 instituant l'Empire. Dans ce cas comme dans celui de l'accession d'Hitler au pouvoir, ce sont des mécanismes démocratiques qui ont ouvert la voie à des despotismes. [...]